Un train pour verdir l’Amérique

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Le premier train à hydrogène vert en circulation sur le continent s’arrête peut-être à Baie-Saint-Paul, mais ses ambitions voyagent bien au-delà de Charlevoix.

À son bord prennent aussi place les espoirs d’une industrie encore balbutiante au Québec, mais convaincue que l’hydrogène vert constitue une des clés vers un avenir décarboné. Petit train ira-t-il loin ? Plusieurs rêvent de le voir partir à la conquête de l’Amérique.

Depuis sa mise en service le 17 juin, le train qui sillonne les 100 kilomètres entre Québec et Baie-Saint-Paul accueille des curieux attirés par le sentiment d’entrer dans le monde de demain.

« C’est un train qui ne laisse aucune empreinte carbone : tout ce qui s’en échappe, c’est de la vapeur d’eau », explique Nancy Belley, directrice générale de Chemin de fer Charlevoix, la société privée qui gère la locomotive entre la capitale et Baie-Saint-Paul. « Les gens, en prenant place à bord, ont l’impression de faire un peu partie de l’histoire. »

Propulsé à l’hydrogène vert, le train Coradia iLint d’Alstom avale les kilomètres entre fleuve et montagnes, au milieu du riche réservoir de paysages de Charlevoix. C’est ici, dans cette région réputée pour son terroir et ses artisans, que l’avenir ferroviaire du continent se dessine peut-être.

« En semaine, chaque fois que le train est en marche, poursuit Nancy Belley, il y a des délégations d’un petit peu partout dans le monde qui viennent constater que ça fonctionne, un train à l’hydrogène. »

Signe de l’intérêt suscité par cette locomotive unique en Amérique : le p.-d.g. d’Amtrak, l’entreprise américaine qui met quotidiennement en circulation plus de 300 trains sur un réseau de plus de 33 000 kilomètres, doit effectuer le voyage dans les prochains jours.

« L’engouement est vraiment là, les besoins aussi, souligne Olivier Marcil, vice-président des affaires publiques chez Alstom Canada. En Amérique du Nord, le réseau de voies ferrées s’étend sur plus de 300 000 kilomètres, mais moins de 1 % est électrifié. Tout roule encore au diesel. L’Amérique, pour nous, représente un potentiel énorme. »

Verdir les transports

L’électrification directe comme celle du REM à Montréal, avec caténaires et câbles d’alimentation, demeure la façon la plus fiable d’électrifier les trains. Par contre, dans des régions peu peuplées, il est peu logique, sur le plan économique, de déployer une ligne électrique pour la seule alimentation d’une voie ferrée. Pour les avions et les navires, un ravitaillement électrique est également impossible sur de très longues distances. C’est dans des cas semblables que l’hydrogène vert pourrait jouer un rôle majeur dans la transition écologique des transports.

« C’est une des solutions », estime Michel Archambault, le cofondateur d’Hydrogène Québec, une nouvelle alliance industrielle inaugurée mardi et présidée par l’ancien ministre de Stephen Harper Steven Blaney. « L’hydrogène vert n’est pas la seule et unique réponse à l’urgence climatique, mais c’est une des voies à explorer pour parvenir à décarboner nos économies. »

Présentement, la planète consomme annuellement environ 100 millions de tonnes d’hydrogène, surtout employées pour produire de l’ammoniac et du pétrole raffiné. De cette quantité, moins de 1 % est vert, c’est-à-dire fabriqué à l’aide d’énergies renouvelables. Le reste utilise des combustibles fossiles, au point où la seule production d’hydrogène dégage, chaque année, 500 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit 1 % des émissions de gaz à effet de serre annuelles.

Le Québec, avec son potentiel de production d’électricité hydraulique, mais aussi solaire et éolienne, a tout pour planter son drapeau dans le marché de l’hydrogène vert appelé à émerger, selon Yvan Cliche, spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

« Nous sommes à la veille d’une révolution industrielle, affirme l’expert. Le Québec se trouve à un moment charnière, historique. » La concurrence mondiale s’annonce déjà féroce : les États-Unis, au moyen du colossal Inflation Reduction Act, proposent des incitatifs fiscaux très puissants pour développer leur hydrogène vert.

Près d’une quarantaine d’États dans le monde ont aussi mis en place leur propre stratégie en ce qui concerne l’hydrogène, dont le Canada et le Québec, mais aussi des pays pétroliers à la vertu écologiste plus douteuse, comme l’Arabie saoudite ou le Qatar, qui voient dans l’hydrogène bleu — produit avec du gaz fossile dont les émissions sont captées sur le site de production, au moyen de procédés coûteux — une planche de salut pour leurs ressources dans un monde en pleine transition. À noter que le Canada pousse également l’hydrogène bleu afin de soutenir l’industrie du gaz fossile dans l’Ouest.

Une ambition semée d’embûches

Un des principaux obstacles dressés devant l’émergence de l’hydrogène vert, c’est le prix de celui-ci. Le train de Charlevoix en consomme 50 kilos par jour, fournis par la québécoise Harnois Énergies à partir de Québec. Chaque kilo de cet hydrogène vert coûte 17,50 $, un prix sans commune mesure avec le coût de l’hydrogène dit « gris », fabriqué avec du gaz fossile (dont les émissions ne sont pas captées). En effet, sa valeur, en devises américaines, oscille entre 1 et 3 $, selon le Bloomberg NEF, un centre d’études sur les technologies de demain.

La situation pourrait toutefois changer, et plus rapidement qu’on ne le pense, selon Bruno Pollet, codirecteur de l’Institut de recherche sur l’hydrogène (ITH) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « Nous sommes au pied d’une courbe qui s’annonce exponentielle, croit la sommité mondiale. D’ici les 10 prochaines années, je pense que nous aurons de l’hydrogène renouvelable vraiment plus intéressant que d’autres hydrogènes, et à coût, surtout, vraiment plus compétitif. »

La technologie, croit encore le professeur Pollet, permettra aussi de rendre les électrolyseurs, l’appareil nécessaire pour décomposer l’hydrogène, beaucoup moins énergivores et dispendieux. « En ce moment, ça prend 55 kW/h d’électricité pour produire un kilo d’hydrogène. Avant 2030, estime-t-il, nous serons à 35 kW/h — une diminution de près de 40 %. »

Même moins gourmande en énergie, la production d’hydrogène vert nécessitera une augmentation très importante de la production d’électricité ou de gaz renouvelable pour répondre à la demande, avertit Bruno Pollet.

« Il faudra enseigner aux gens le gain que ça représente pour la planète. Si nous construisons des barrages ou des éoliennes pour produire plus d’électricité, au bout du compte ça va nous donner la capacité d’avoir de l’hydrogène vert qui permettra de fabriquer de l’acier zéro carbone, de déplacer des trains sans diesel ou d’apporter de l’électricité jusque dans des régions reculées. C’est ça, le end game : c’est pour nos enfants qu’il faut faire tout ça. »

Source: Le Devoir